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D’une part, il existe ceux qui pèsent sur l’argument Tous les commerces et kiosques actuels de la place
historique et patrimonial, admettant que ce n’est seront également supprimés mais se voyant offrir la
pas juste un bâtiment fabriqué en pierre. En possibilité de s’installer dans les nouveaux locaux
revanche, il représente le relai à la phase de la du complexe. Selon le gouverneur du Caire,
modernité industrielle et technique en Nouvelle Ibrahim Saber, ce projet vise à restaurer le cachet
Égypte, où il comprend un nombre éminent de patrimonial et à éliminer les formes d’occupation
spécialistes et architectes responsables de la anarchique, conformément aux directives du
maintenance et l’innovation du réseau. Métissant président Abdel-Fattah Sissi. La place Ramsès, à la
l’empreinte européenne classique avec les retouchés fois, véritable nœud de transport et jalon de
locales, cet édifice se distingue par sa façade l’histoire économique, industrielle et coloniale de la
ornementée, ses hautes fenêtres et sa structure Nouvelle Égypte, souffre d’une congestion
imposante qui repose sur la solidarité et l’élégance chronique, accentuée aux heures de pointe. C’est
des bâtiments khédiviaux. Dans un contexte pourquoi, une nouvelle gare pour les trains de
d’expansion des chemins de fer en Égypte - le Haute-Égypte est en cours d’ouverture à Bachtile
moyen de transport le plus utilisé par le peuple à (Gizeh). Dans cette logique de désengorger la
l’époque, l’Égypte fut le premier pays hors Europe masse à la gare et l’embouteillage sur le pont, il
à se doter d’un réseau ferroviaire, dès 1854, faut un élargissement qui nécessite l’enlèvement du
notamment sous le khédive Abbâs Ier, qui bâtiment.
s’étendait rapidement atteignant la Haute-Égypte,
le Suez et l’Alexandrie. Cette croissance a poussé la
construction des bâtiments administratifs et
techniques solides, capables d’accueillir les bureaux
d’ingénierie, de planification et d’entretien. De là,
on peut conclure que pour une majorité
égyptienne, ce bâtiment n’était et ne sera jamais
seulement fonctionnel, mais aussi un monument de
prestige, témoin d’alliance entre modernité
technique et authenticité architecturale.
D’autre part, la logique de la modernité socio-
économique et la nécessité de changer, trouve sa
Dans cet esprit dichotomique et controversé
place. En effet, ce bâtiment, malgré sa valeur
s’inscrit le patrimoine dans l’écho d’une pensée de
historique, n’est plus fonctionnel aujourd’hui vu le
Taha Hussein : « Nous faisons partie de l’Occident,
le progrès technologique et les facteurs d’érosion
au niveau culturel et civilisationnel, que nous le
qui empêchent son efficacité exécutive et
voulions ou non ; la voie du progrès consiste à en
planificatrice. Dans cette perspective, cette
acquérir les sciences et les arts, puis à les reformuler
démolition n’est plus vue comme un effaceur de
en harmonie avec notre héritage et notre identité ».
l’originalité de la Place mais un réaménagement
Dès lors, il convient de veiller à ne pas copier
pour le bien-être collectif du peuple présent et
aveuglément les actions de l’Occident au nom du
aussi futur.
“développement”, mais de repenser le sens même
de ces notions. Certains croient que le progrès
réside dans l’inspiration du modèle occidental de
développement ; pourtant, on s’aperçoit
rapidement que, pour une partie des Occidentaux
eux-mêmes, dans le cadre du développement
culturel, « protéger le patrimoine, c’est investir dans
l’avenir ». C’est en ces termes que s’est exprimée
Irina Bokova, la première femme et première tête
en Europe de l’Est à occuper le poste de directrice
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