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Vo l . 1                          É L I T E                                  Numéro 58



             la  culture,  et  se  dresse  sans  crainte  face  à archive  vivante,  consignant  la  perte,  affirmant

             l’effacement. L’art ne se fabrique pas seulement, il l’identité,  et  préservant  à  travers  le  temps  la  voix
             se  vit  —  et  ce  qui  est  vécu  en  lui  reste  éternel. palestinienne — debout, vivante, immortelle.
             Rifaat Al-Arir a laissé derrière lui des vers de défi
             adressés au monde : “S’il faut que je meure, il faut
             que  tu  vives,  toi,  pour  raconter  mon  histoire.”  Ce Ici,  l’art  ne  parlait  pas  seulement  de  la  Palestine,

             défi à l’effacement prend des formes innombrables mais provenait de la Palestine elle-même, affirmant
             :  parfois  un  simple  fil,  parfois  la  terre  elle-même que  l’identité  ne  peut  être  arrachée  à  ses  racines,
             devient  art.  Lorsque  les  forces  d’occupation même  sous  le  siège.  Sa  célèbre  toile  Le  porteur
             israéliennes  ont  interdit  les  outils  de  peinture, d’olives  incarne  la  résilience  inébranlable  des
             Suleiman Mansour s’est tourné vers la terre : il l’a Palestiniens,  où  la  matière  et  le  sens  se  sont  unis
             broyée et en a fait des couleurs, transformant ainsi dans une harmonie créatrice : le tableau a parlé à la
             le sol en tableau et en témoignage à la fois.    fois  de  la  terre  et  du  peuple,  dans  un  silence
             Ici,  l’art  ne  parlait  pas  seulement  de  la  Palestine, éclatant qui dépasse les mots.

             mais provenait de la Palestine elle-même, affirmant
             que  l’identité  ne  peut  être  arrachée  à  ses  racines, En  fin  de  compte,  la  résilience  ne  consiste  pas
             même  sous  le  siège.  Sa  célèbre  toile  Le  porteur seulement  à  supporter  le  présent,  mais  aussi  à
             d’olives  incarne  la  résilience  inébranlable  des imaginer  un  avenir  digne  d’être  enduré  pour  lui.
             Palestiniens,  où  la  matière  et  le  sens  se  sont  unis Chaque  robe  brodée,  chaque  olivier  dessiné,

             dans une harmonie créatrice : le tableau a parlé à chaque poème sur la terre n’est pas seulement un
             la  fois    de  la  terre  et  du  peuple,  dans  un  silence hommage à ce qui a été perdu, mais un dessin de ce
             éclatant qui dépasse les mots.                   qui  sera  retrouvé  le  jour  de  la  libération.  Les
             Ici, la création n’est pas un luxe, mais une nécessité empires s’effondrent, les régimes chutent, les cartes
             : un moyen de relier l’identité à la terre lorsque la se redessinent, mais l’art demeure. Les Romains ne
             politique et la violence tentent de l’arracher. Cela gouvernent  plus,  mais  leurs  œuvres  d’art  tiennent
             se  manifeste  aussi  dans  le  graffiti  et  l’art  mural toujours. Les Ottomans se sont écroulés, mais leurs

             palestinien,  devenus  des  instruments  puissants  de arabesques  racontent  encore  leur  histoire  sur  les
             résistance,  empreints  d’ironie  et  proclamations murs.  Et  l’on  dira  un  jour  du  tissage  palestinien,
             indélébiles face à l’occupation de la terre et de la des  vers  de  Darwich,  des  toiles  de  Mansour,  du
             mémoire. Mais l’art ne se réduit ni aux fils tissés, ni graffiti  anonyme  des  rues  de  Ramallah  :  un
             aux coups de pinceau sur la terre. Il respire dans le patrimoine vivant, indélébile, immortel.
             rythme  de  la  poésie,  dans  les  mélodies  tenaces

             chantées en exil, dans les récits murmurés à travers
             les générations. La poésie est devenue, par exemple,
             une proclamation d’existence et de vie. Comme l’a
             dit Mahmoud Darwich : « Note-le, je suis arabe. Tu
             as volé les vignes de mes ancêtres, et une terre que je
             cultivais,  moi  et  tous  mes  enfants.  »  Et  si  la  terre
             pouvait  parler,  ses  mots  résonneraient  de  son

             souffle, comme si l’olivier lui-même pleurait : « Si
             l’olivier  se  souvenait  de  celui  qui  l’a  planté,  l’huile
             deviendrait des larmes. » Ainsi, la poésie se fait
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