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la culture, et se dresse sans crainte face à archive vivante, consignant la perte, affirmant
l’effacement. L’art ne se fabrique pas seulement, il l’identité, et préservant à travers le temps la voix
se vit — et ce qui est vécu en lui reste éternel. palestinienne — debout, vivante, immortelle.
Rifaat Al-Arir a laissé derrière lui des vers de défi
adressés au monde : “S’il faut que je meure, il faut
que tu vives, toi, pour raconter mon histoire.” Ce Ici, l’art ne parlait pas seulement de la Palestine,
défi à l’effacement prend des formes innombrables mais provenait de la Palestine elle-même, affirmant
: parfois un simple fil, parfois la terre elle-même que l’identité ne peut être arrachée à ses racines,
devient art. Lorsque les forces d’occupation même sous le siège. Sa célèbre toile Le porteur
israéliennes ont interdit les outils de peinture, d’olives incarne la résilience inébranlable des
Suleiman Mansour s’est tourné vers la terre : il l’a Palestiniens, où la matière et le sens se sont unis
broyée et en a fait des couleurs, transformant ainsi dans une harmonie créatrice : le tableau a parlé à la
le sol en tableau et en témoignage à la fois. fois de la terre et du peuple, dans un silence
Ici, l’art ne parlait pas seulement de la Palestine, éclatant qui dépasse les mots.
mais provenait de la Palestine elle-même, affirmant
que l’identité ne peut être arrachée à ses racines, En fin de compte, la résilience ne consiste pas
même sous le siège. Sa célèbre toile Le porteur seulement à supporter le présent, mais aussi à
d’olives incarne la résilience inébranlable des imaginer un avenir digne d’être enduré pour lui.
Palestiniens, où la matière et le sens se sont unis Chaque robe brodée, chaque olivier dessiné,
dans une harmonie créatrice : le tableau a parlé à chaque poème sur la terre n’est pas seulement un
la fois de la terre et du peuple, dans un silence hommage à ce qui a été perdu, mais un dessin de ce
éclatant qui dépasse les mots. qui sera retrouvé le jour de la libération. Les
Ici, la création n’est pas un luxe, mais une nécessité empires s’effondrent, les régimes chutent, les cartes
: un moyen de relier l’identité à la terre lorsque la se redessinent, mais l’art demeure. Les Romains ne
politique et la violence tentent de l’arracher. Cela gouvernent plus, mais leurs œuvres d’art tiennent
se manifeste aussi dans le graffiti et l’art mural toujours. Les Ottomans se sont écroulés, mais leurs
palestinien, devenus des instruments puissants de arabesques racontent encore leur histoire sur les
résistance, empreints d’ironie et proclamations murs. Et l’on dira un jour du tissage palestinien,
indélébiles face à l’occupation de la terre et de la des vers de Darwich, des toiles de Mansour, du
mémoire. Mais l’art ne se réduit ni aux fils tissés, ni graffiti anonyme des rues de Ramallah : un
aux coups de pinceau sur la terre. Il respire dans le patrimoine vivant, indélébile, immortel.
rythme de la poésie, dans les mélodies tenaces
chantées en exil, dans les récits murmurés à travers
les générations. La poésie est devenue, par exemple,
une proclamation d’existence et de vie. Comme l’a
dit Mahmoud Darwich : « Note-le, je suis arabe. Tu
as volé les vignes de mes ancêtres, et une terre que je
cultivais, moi et tous mes enfants. » Et si la terre
pouvait parler, ses mots résonneraient de son
souffle, comme si l’olivier lui-même pleurait : « Si
l’olivier se souvenait de celui qui l’a planté, l’huile
deviendrait des larmes. » Ainsi, la poésie se fait
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